LA NUIT DES
MORTS-VIVANTS de Romero est le premier volet
de la saga des zombies. Une saga
entamée donc en 1968 avec ce film, puis suivit par quatre autres dont le dernier en date est sorti en 2008.
Plus engagé
quil ny paraît, ce film est en premier
lieu un film politico-social avant même dêtre
un film de genre.
En effet, si Romero, utilise les codes propres au film
dhorreur, un genre longtemps ignoré et méprisé, cest pour mieux les transcender et dénoncer
les travers de la société américaine. Le
scénario de Romero se veut brut et sauvage et ce afin de dénoncer une réalité
bien plus cruelle. Le film de zombies, et cest souvent le cas dans les films de série B, nest quun prétexte. Cela donne des films beaucoup plus intéressants que de
simples explosions de gore.
Si ZOMBIE, deuxième volet de la saga ( sorti en 1978) réponds
aux codes du film gore avec son lot de décapitations et autres boucheries, il
est avant tout une critique acerbe de la
société de consommation et du capitalisme.
Quant au film, LE JOUR DES MORTS-VIVANTS , daté de 1985, si il se complaît dans le cannibalisme,
démembrements, et une fourmilière de cadavres cela est avant dans le but de pointer le totalitarisme, lindividualisme et un
certain égoïsme primaire.
En 2005, avec LAND OF THE DEAD, Romero signe
un brûlot contre lAmérique de Bush et une société encore traumatisée
par lempreinte du 11 septembre 2001.
En 2008 DIARY OF THE
DEAD marque le retour des zombies de Romero. Cinquième et dernier volet, il y
aborde le problème de la communication dans une société où les médias ont les pleins pouvoirs.
Chaque film de la saga reflète à sa manière le climat politique et social de son époque.
Chacun requiert un sens propre (re)placé dans un contexte précis celui de la période dans laquelle il est
sorti en salle.
Dans LA NUIT
DES MORTS-VIVANTS, Ben, le héros
principal est noir, courageux et fonceur, et le méchant est blanc, lâche et égoiste donnant
au film sa dimension politique dans une Amérique puritaine et conservatrice attachée à ces
valeurs. La dualité Blanc-Noir est
clairement une métaphore des Etats-Unis des années 60 durant laquelle règne une
importante discrimination raciale.
Pour
Romero, ce nest pas le mort-vivant la véritable menace de lhistoire mais bien
la folie et la barbarie des hommes. Si le
mort-vivant représente la menace, le
danger, le mal, il nest pas le mal.
Ainsi, le héros noir sera ainsi abattu lâchement par les
chasseurs de morts-vivants, venus « délivrer » les occupants de la
maison, persuadés davoir à faire à lennemi. Cela renvoie aux turbulences de
la société américaine des années 60. Si Martin Luther King uvre pour la
paix et contre la ségrégation et la discrimination raciale, des émeutes se
généralisent un peu partout sur le
territoire. Les ghettos noirs réagissent par la violence face à linjustice et
se réclament du « Black Power » contre le « Ku Klux
Klan ». Deux sociétés, une noire,
une blanche, séparées et inégales divisent le pays. Deux Amérique, une identitaire
et revendicative face à une autre Conservatrice et raciste. Une Amérique
engagée dans la Guerre du Vietnam doù
émane un climat de violence. Lors dun discours, il exprimera ses doutes quant au
rôle et à lattitude des Etats-Unis dans
la Guerre du Vietnam. Une guerre, à ses
yeux injuste, mauvaise et vaine. Il dénonce une Amérique raciste et militariste
et criminelle. Il accuse le pays davoir tué un million de vietnamiens, en majorité des enfants.
Malgré, le symbole despoir quil incarne et son engagement
pour la « non-violence », il est assassiné par un blanc en 1968.
Difficile de ne pas
mettre en corrélation Martin Luther King avec le personnage noir, seul véritable héros du film, qui tentera
vainement lentente dans le groupe au sein de la maison. Il ne sera pas couronné et trouvera très vite la mort, abattue sans réserve
par des policiers le confondant avec
un monstre.
Si le film
est, sans équivoque, une critique dune
Amérique raciste, il est aussi le reflet dune Amérique des années 60, engagée dans la Guerre Froide. Une période enclin à une peur de lautre, de
l étranger . Durant un flash dinformation radio, on évoque lidée de radiations atomiques qui
seraient à lorigine de la « résurrection » de défunts, les
morts-vivants. Lidée de radiation est
directement liée au contexte de guerre
Froide , véritable course aux armes, en loccurrence nucléaires, et qui fait régner la peur dans le monde
entier. Si, le mort-vivant est une
représentation métaphorisé de l
ennemi, lennemi nest pas celui quon
pense être.
A lintérieur de la maison, personne ne survivra. Pour la
plupart, non pas victimes des
morts-vivants mais bel et bien de lêtre humain. En effet si le conflit est situé à lextérieur
de la maison cest bel et bien à lintérieur de celle-ci, quauront lieux les principales atrocités du film. Les
vivants ne sentendent pas entre eux et finiront tous par sentretuer.
« Lenfer cest les autres » selon la célèbre
pensée sartrienne et selon laquelle lHomme est un étranger pour lAutre. La maison,
tel dans un « huis-clos »,
enferme nos personnages, où le vivant est un ennemi potentiel au même titre que
les morts-vivants qui menacent dehors et qui deviennent presque
secondaires à laction. Les plans gores
des victimes dévorés par les zombies sont en comparaison plutôt rares. Dailleurs, la raison de leur apparition
suite à des radiations ne sera pas davantage expliquée et
restera de ce fait accessoire à laction.
Plutôt que de filmer les zombies, plans pour la plupart très
courts, Romero sattarde plus volontiers
sur les victimes hystériques et terrorisées, filmées en très gros plans à
lintérieur de la maison, nous donnant à voir une image effroyable, celle des
humains.
Lenfermement des personnages dans la maison, dans laquelle le danger est omniprésent, est
le véritable enjeu du film. Cette idée est présente, et ce dès le début, lorsque
le couple avant de se rendre au cimetière, prends soin de remonter les vitres
de la voiture. Filmé, à travers les
vitres, à lintérieur du véhicule, il nous apparait tels des animaux dans leur
cage. Ces quelques plans portent en eux
les prémices du drame à venir, celui de lenfermement inexorable qui les mènera à leur propre perte.
Ben et le
propriétaire blanc de la maison
connaissent des tensions et ne saccordent pas sur la méthode employée afin de
protéger lhabitation de la menace des morts-vivants. Si lun propose de barricader
toutes les fenêtres, lautre est convaincu que seul la cave est un lieu sur.
Ben finira par tuer à bout portant cet
autre, devenu trop gênant, déterminé à sauver sa peau sans se soucier du sort
des autres.
Inconscient, un couple séchappe de la maison et tente de
récupérer le véhicule garé à côté dune pompe à essence, une maladresse leur sera fatale, les
transformant en torche humaine.
La petite fille, mordue au préalable, finira par tuer ces
deux parents.
Au fur et à mesure de lhistoire, les relations humaines
se désagrègent, menant chacun à sa propre perte. Chacun participe à sa
manière à sa fin proche et creuse sa tombe. La maison, en premier lieu, voit
ses fenêtres et portes condamnées, puis, par la suite, complètement plongée dans le noir, suite à une panne
délectricité, devient la métaphore dun tombeau.
Finalement ce nest
pas la non-explication quant à lapparition des morts-vivants qui frappent mais
cest avant tout les actes pour le moins irrationnels, individualistes,
illogiques auxquels se livrent les
humains entre eux. La monstruosité ne réside pas là où on lattendait mais
avant tout dans la perte des relations humaines dans une société individualiste, une fin du monde, une véritable apocalypse.
Le fantastique est une parabole à lexpression de la
critique sociale. Sous un premier degré angoissant se développe une véritable satire sociale doù se dégage
une vision fataliste pessimiste du devenir de lHomme.
Les zombies sont les produits dune société malade qui aura
engendré ses propres monstres, celle de
la guerre froide orchestrée par lêtre humain lui-même. Romero pousse le vice,
par une représentation somme tout naturelle et humaine du mort-vivant. Pas de
surenchère de maquillage ou deffets particuliers pour nous représenter
« lennemi » mais au contraire, il nous est représenté comme le
portrait conforme de son géniteur quest lhumain.
Cest souvent une
période sombre de lHistoire qui donnera
naissance aux plus grands chefs-duvre
du septième Art.
Si lexpressionnisme allemand (date clef : 1919-1930) émerge au lendemain de la première guerre mondiale
dans une atmosphère de malaise et de révolte, il donnera naissance à un
film-clé de lhistoire du cinéma dhorreur, le NOSFERATU de Murnau
(1922).
Le film est fortement
imprégné du contexte culturel et politique de lAllemagne des années 20, révoltée et humiliée par la défaite.
En 1838, une épidémie de peste ravage Brême. Nosferatu est un mort-vivant qui boit le sang des
jeunes gens nécessaire à sa survie.
En historien et en théoricien du cinéma Siegfried Kracauer
écrit en 1947, De Caligari à Hitler, une histoire psychologique du cinéma allemand. Il démontre
comment le cinéma peut explorer les zones dombre dune société traumatisée et ainsi devenir un exutoire.
Le cinéma de Romero trouve ses origines avec la guerre froide, la guerre du Vietnam, le
racisme, les années Reagan (1981-1989)), le 11 septembre, et peut-être envisagé, à ce titre, comme un véritable document culturel, un
témoignage social, une source
dinformations sur la société qui la produit.
LA NUIT DES MORTS-VIVANTS et toute la saga de Romero est un
véritable pamphlet celui dune réflexion
sur le cinéma et lhistoire. Au même titre que des livres dhistoire, il nous
livre un témoignage, celui de lhistoire des sociétés.