Avec son dernier film LA BELLE PERSONNE, Christophe Honoré qui a suivit des études supérieures de lettres modernes nous livre une transposition réussie du roman de    Madame De La Fayette, LA PRINCESSE DE CLEVES, héroine de la littérature classique du XVIIème,  considéré comme le premier roman psychologique moderne.

Une oeuvre qui occupe une place particulière dans la littérature française en donnant, chose impensable à l'époque, un point vue exclusivement féminin. De plus, il n'était pas d'usage qu'une aristocrate et qui plus est, une femme publie un roman. Ainsi, La princesse de Clèves est éditée de manière anonyme et ce, jusqu'en 1780 soit 100 ans après sa parution.

     Le livre retrace l'histoire du prince de Clèves qui, ébloui par la beauté de la jeune demoiselle de Chartres, jeune orpheline de seize ans, la demandera en mariage. Mariée, devenue princesse de Clèves, elle rencontrera le duc De Nemours dont elle tombera amoureuse. Confrontée à la tentation d'un amour adultère, elle choisira de ne pas passer à l'acte et ne cessera de lutter contre le feu de la passion. Après la mort de son mari, elle rentrera au couvent.
 
Si Madame Bovary, la marquise de Merteuil ou encore Lady Chaterlley se font les dignes représentantes de l'amour-passion et du libertinage des moeurs, la princesse de Clèves tient sa singularité même dans sa lutte contre l'appel de la passion pour un amour refusé plutôt qu'un amour impossible.
C'est certainement cette singularité  même du personnage qui semble avoir intéressé Christophe Honoré, dont toute la filmographie  aborde un thème commun à celui de madame De La Fayette, celui du sentiment amoureux . Mais un sentiment amoureux  qui  est irrémédiablement voué à l’échec. Il est contrarié, condamné ou sacrifié. Chez Honoré celui-ci est violent voire même tragique. A travers ses films (mais aussi ses livres pour enfants car il est aussi écrivain!) il  n'hésite pas à aborder des sujets souvent difficiles voire tabous (il se revendique lecteur et grand admirateur du sulfureux et transgressif  Georges Bataille dont il adaptera Ma mère au cinéma!).  

Dans son premier film 17 fois Cécile Cassard (2002), si il est déjà question de sentiment amoureux c'est celui tragique d'une femme à la dérive, assommée par la mort de son mari.
Rarement un film sur le deuil n'a été jusqu'au bout.
Dans Ma mère (2004), il  est question de relation amoureuse mais incestueuse entre une mère débauchée et son fils.
Dans Les chansons d'amour (2007) il est question du trio amoureux celui de Julie, Alice et Ismael confronté à la mort de l'un d'eux puis à l'homosexualité.
 
        Avec La belle personne, Christophe Honoré nous propose une transposition moderne et libre du roman. L'action ne se situe non plus à la cour d'Henri II mais en 2008, dans un lycée parisien.
L'histoire est celle de Junie (formidable et touchante Léa Seydoux!), adolescente fragile et renfermée sur elle-même, suite au décès de sa mère. Elle arrive dans un nouveau lycée, où elle devient très vite, l'objet de toutes les convoitises. Elle entame une relation avec Otto, son camarade de classe mais très vite la relation se complique quand Junie comprend l'attirance de son professeur d'italien (un Louis Garrel impeccable comme toujours!) pour elle.  Si, par convenance, elle se refuse à son amour sa relation amoureuse finira en drame avec le suicide de Otto et son départ définitif  du lycée.


 L'adaptation moderne d’un roman du XVII ème siècle par Honoré n'est en rien surprenante tant le  thème du sentiment amoureux reste universel et contemporain mais ce qui l'est davantage c'est la place singulière donnée au personnage féminin.

L’héroisme de La princesse de Clèves, dont le roman se situe, sous Henri II, réputée une Cour aux moeurs légères (Autour du roi, la reine Catherine De Médicis mais aussi la favorite officielle, Diane de Poitiers), réside dans le renoncement. Elle et Junie,  se refusent à l’amour, dominent leurs sentiments et se refusent de succomber à la passion et à l’infidélité. Toutes deux s’éloignent volontairement de Nemours afin de fuir la tentation et de dominer leurs sentiments. Malgré les 300 ans qui les séparent, toutes les deux sont des victimes. Victimes des hommes, elles incarnent la difficile condition féminine face à leur inconstance.

Comme pour signifier cette idée d’intemporalité, le réalisateur a prit soin d’adapter précisément le roman. En effet, les similitudes entre l’œuvre romanesque et son adaptation cinématographique ne manquent pas : Le vol du portrait représentant la jeune fille par Nemours (dans le film, il est question d’une photographie que Nemours subtilise dans le cahier de son élève), une lettre perdue, à l’origine d’un quiproquo, agit comme un révélateur de sentiments ( une lettre d’amour égarée  par Nemours, du moins c’est ce que pense Junie, réveille chez elle une certaine jalousie), les regards comme preuve d’une ardente passion ( des scènes entières sont construites par le  seul biais du regard comme ces regards échangés avec Nemours lors de la lecture du poème d’amour en italien par Junie), l’aveu des sentiments pour un autre homme ( Junie avouera à Otto les sentiments qu’elle ressent pour Nemours). Comme le roman, le film est construit telle une tragédie. Il règne comme une fatalité empêchant chacun des personnages de trouver le bonheur. Si dans le roman le mari de la princesse meurt de chagrin suite à l’aveu de sa femme, dans le film Otto se donne la mort. A la fin, il est  presque question de culpabilité, de rédemption pour toutes deux, si Madame de Clèves rentre dans les ordres et quitte la société, Junie choisit de s’enfuir et de quitter le lycée.  

Aujourd’hui encore, la princesse de Clèves incarne de par son invraisemblable vertu une sorte de résistance symbolique face à l’inconstance des hommes.

En adaptant ce roman, il y a comme une forme de réponse aux attaques et propos incendiaires attribués au futur président alors en campagne qui s’était indigné en 2006, de voir figurer cette œuvre au programme de concours administratifs et par la suite avoir avoué « avoir beaucoup souffert sur elle » lors de ses études. Un mouvement de résistance est en marche,  faire étudier la Princesse de Clèves. Pour cela, le film de Christophe Honoré est un véritable outil pédagogique et d’initiation à l’œuvre de Madame De La Fayette !!!!!!!