Une oeuvre qui occupe une place particulière dans la littérature française en
donnant, chose impensable à l'époque, un point vue exclusivement féminin. De
plus, il n'était pas d'usage qu'une aristocrate et qui plus est, une femme
publie un roman. Ainsi, La princesse de Clèves est éditée de
manière anonyme et ce, jusqu'en 1780 soit 100 ans après sa parution.
Le livre retrace l'histoire du prince de Clèves qui,
ébloui par la beauté de la jeune demoiselle de Chartres, jeune orpheline de
seize ans, la demandera en mariage. Mariée, devenue princesse de Clèves, elle
rencontrera le duc De Nemours dont elle tombera amoureuse. Confrontée à la
tentation d'un amour adultère, elle choisira de ne pas passer à l'acte et ne
cessera de lutter contre le feu de la passion. Après la mort de son mari, elle
rentrera au couvent.
Si Madame Bovary, la marquise de Merteuil ou encore Lady Chaterlley se font les
dignes représentantes de l'amour-passion et du libertinage des moeurs, la
princesse de Clèves tient sa singularité même dans sa lutte contre l'appel de
la passion pour un amour refusé plutôt qu'un amour impossible.
C'est certainement cette singularité même du personnage qui semble avoir
intéressé Christophe Honoré, dont toute la filmographie aborde un thème
commun à celui de madame De La Fayette, celui du sentiment amoureux . Mais un
sentiment amoureux qui est irrémédiablement voué à léchec. Il
est contrarié, condamné ou sacrifié. Chez Honoré celui-ci est violent
voire même tragique. A travers ses films (mais aussi ses livres pour enfants
car il est aussi écrivain!) il n'hésite pas à aborder des sujets souvent
difficiles voire tabous (il se revendique lecteur et grand admirateur du
sulfureux et transgressif Georges Bataille dont il adaptera Ma mère
au cinéma!).
Dans son premier film 17 fois Cécile Cassard (2002), si il est déjà
question de sentiment amoureux c'est celui tragique d'une femme à la dérive,
assommée par la mort de son mari.
Rarement un film sur le deuil n'a été jusqu'au bout.
Dans Ma mère (2004), il est question de relation amoureuse mais
incestueuse entre une mère débauchée et son fils.
Dans Les chansons d'amour (2007) il est question du trio amoureux celui
de Julie, Alice et Ismael confronté à la mort de l'un d'eux puis à
l'homosexualité.
Avec La belle personne,
Christophe Honoré nous propose une transposition moderne et libre du roman.
L'action ne se situe non plus à la cour d'Henri II mais en 2008, dans un lycée
parisien.
L'histoire est celle de Junie (formidable et touchante Léa Seydoux!),
adolescente fragile et renfermée sur elle-même, suite au décès de sa mère. Elle
arrive dans un nouveau lycée, où elle devient très vite, l'objet de toutes les
convoitises. Elle entame une relation avec Otto, son camarade de classe mais
très vite la relation se complique quand Junie comprend l'attirance de son
professeur d'italien (un Louis Garrel impeccable comme toujours!) pour elle. Si, par convenance, elle se refuse à son amour
sa relation amoureuse finira en drame avec le suicide de Otto et son départ
définitif du lycée.
L'adaptation moderne dun roman du XVII ème siècle par Honoré n'est en rien surprenante tant le thème du sentiment amoureux reste universel et contemporain mais ce qui l'est davantage c'est la place singulière donnée au personnage féminin.
Lhéroisme de La princesse de Clèves, dont le roman se
situe, sous Henri II, réputée une Cour aux moeurs légères (Autour du roi, la
reine Catherine De Médicis mais aussi la favorite officielle, Diane de
Poitiers), réside dans le renoncement. Elle et Junie, se refusent à lamour, dominent leurs sentiments
et se refusent de succomber à la passion et à linfidélité. Toutes deux séloignent
volontairement de Nemours afin de fuir la tentation et de dominer leurs
sentiments. Malgré les 300 ans qui les séparent, toutes les deux sont des
victimes. Victimes des hommes, elles incarnent la difficile condition féminine
face à leur inconstance.
Comme pour signifier cette idée dintemporalité, le réalisateur a prit soin dadapter précisément le roman. En effet, les similitudes entre luvre romanesque et son adaptation cinématographique ne manquent pas : Le vol du portrait représentant la jeune fille par Nemours (dans le film, il est question dune photographie que Nemours subtilise dans le cahier de son élève), une lettre perdue, à lorigine dun quiproquo, agit comme un révélateur de sentiments ( une lettre damour égarée par Nemours, du moins cest ce que pense Junie, réveille chez elle une certaine jalousie), les regards comme preuve dune ardente passion ( des scènes entières sont construites par le seul biais du regard comme ces regards échangés avec Nemours lors de la lecture du poème damour en italien par Junie), laveu des sentiments pour un autre homme ( Junie avouera à Otto les sentiments quelle ressent pour Nemours). Comme le roman, le film est construit telle une tragédie. Il règne comme une fatalité empêchant chacun des personnages de trouver le bonheur. Si dans le roman le mari de la princesse meurt de chagrin suite à laveu de sa femme, dans le film Otto se donne la mort. A la fin, il est presque question de culpabilité, de rédemption pour toutes deux, si Madame de Clèves rentre dans les ordres et quitte la société, Junie choisit de senfuir et de quitter le lycée.
Aujourdhui encore, la princesse de Clèves incarne de par son invraisemblable vertu une sorte de résistance symbolique face à linconstance des hommes.
En adaptant ce roman, il y a comme une forme de réponse aux attaques et propos incendiaires attribués au futur président alors en campagne qui sétait indigné en 2006, de voir figurer cette uvre au programme de concours administratifs et par la suite avoir avoué « avoir beaucoup souffert sur elle » lors de ses études. Un mouvement de résistance est en marche, faire étudier la Princesse de Clèves. Pour cela, le film de Christophe Honoré est un véritable outil pédagogique et dinitiation à luvre de Madame De La Fayette !!!!!!!